En ce moment, il m’arrive un drôle de truc. L’un de mes personnages est en train de m’échapper complètement pour vivre sa propre vie. je te jure que c’est vrai ! Incroyable, non 🙂 ?
Ce n’est pas la première fois que j’expérimente cet étonnant phénomène. Je l’ai déjà vécu lors de la rédaction de mon recueil de nouvelles Extrasystoles, et aussi, plus récemment, en écrivant mon roman pour Eyrolles (qui paraîtra cet automne). Dans les deux cas, l’un de mes personnages, que j’avais prévu être plutôt comme ceci, s’est avéré être plutôt comme cela, et j’ai dû m’adapter à ce que je découvrais de lui, accordant ma plume et mon histoire à cette découverte.
Et voici qu’aujourd’hui, l’étrange phénomène se produit à nouveau, avec une très grande force.
Je te plante le décor. En 2015, j’ai commencé à travailler sur un ambitieux projet éditorial avec l’association L’Union pour l’Enfance. L’objectif : proposer au grand public une saga baptisée Les Anges Gardés, comprenant 5 tomes. À raison d’une parution par an pendant 5 ans (de 2015 à 2019), ce projet a pour but de présenter les actions concrètes de l’association ; celle-ci s’occupant de placer des enfants, maltraités au sein de leur famille d’origine, dans des foyers ou familles d’accueil. Les tomes 1 et 2 sont sortis en 2015 et 2016. Le tome 3 est à paraître en novembre 2017. Chaque opus se subdivise en deux parties : l’une institutionnelle, rédigée par l’Union ; l’autre fictionnelle, mettant en scène 4 personnages inventés d’enfants placés, rédigée par môa.
Pour ce projet, j’ai donc eu à créer les profils de quatre gamins, d’âges et de tempéraments différents. Parce qu’ils ont subi des maltraitances dans leur famille de sang, mes quatre personnages se retrouvent pris en charge par une association fictive, les Anges Gardiens (d’où le titre de la saga, Les Anges Gardés, pour désigner ces mômes secourus). Cette assoc’ les confie alors à des familles d’accueil auxquelles ils doivent s’acclimater.
Laisse-moi te les présenter, mes quatre gamins 🙂 .
Il y a d’abord Achille. C’est le plus âgé. Il a 16 ans au moment où commence la saga. C’est un jeune garçon d’origine camerounaise au tempérament toujours optimiste. Sa bonne humeur n’est jamais entachée par rien et il fait preuve d’un caractère pacifique, philosophe et joyeux quelles que soient les circonstances extérieures.
Il y a ensuite Samir. Lui, c’est le plus jeune puisqu’il n’a que 10 ans au début de l’histoire. C’est un gamin solitaire, taiseux, apeuré. La vie a rogné son innocence et lui a appris à se méfier des adultes. Il va devoir apprendre à surmonter ses terreurs et à se réapproprier son destin.
Enfin, il y a les jumeaux Fabien et Marie-Pierre. Ils ont 14 ans quand démarre le tome 1. Enfants de bourgeois parisiens, ils sont très fusionnels l’un avec l’autre. Mais s’ils se ressemblent physiquement, ils diffèrent au niveau du caractère. Fabien, c’est un jeune rebelle. Furieux contre ses parents, contre la société, contre la vie. Il s’exprime dans la rage et la révolte, mâchoires serrées. Marie-Pierre, elle, est une artiste. Douée pour la danse, elle choisit d’en faire sa passion, sa vocation. C’est ce personnage de Marie-Pierre qui, pour une raison que j’ignore, a décidé d’échapper à mon emprise et d’évoluer loin de ce que j’avais prédit pour elle.
Au départ, dans mon esprit, cette blonde jeune fille présentait des qualités de douceur, de grâce, de romantisme. Elle se montrait tendre et maternelle, surtout envers le petit Samir, qu’elle prenait sous son aile. Elle rêvait de danse, mais aussi d’amour, de paillettes et de fraternité. Oui, vraiment, c’est ainsi que je l’avais conçue, ainsi que le tome 1 la mettait en scène…
Et puis soudain, quelque chose a changé dans le tome 2. J’ai « senti » que Marie-Pierre était en train d’entamer une mue. Lentement, mais indéniablement. Mue que je n’avais pas forcément programmée. Lorsque je visualisais mon personnage, au moment d’écrire mes scènes, je n’arrivais plus, soudain, à la voir comme la frêle et diaphane gamine du tome 1. C’est comme si – et ce sans même me demander mon autorisation – elle avait grandi, avait mûri, s’était d’elle-même aguerrie. Je l’ai laissé faire, curieuse de voir où elle m’entraînerait…
Pour le tome 3, dont j’ai entamé la rédaction il y a 3 semaines, le processus s’est encore accentué. Je ne peux que constater qu’entre le tome 2 le tome 3, Marie-Pierre a continué de se durcir. Elle est désormais en bon chemin pour devenir une véritable Dame de Fer. Là, sous mes yeux. Et il n’est rien que je puisse faire pour l’en empêcher. C’est elle la chef…
Peut-être te demandes-tu comment une telle chose est possible. « M’enfin, c’est toi l’auteur, vas-tu me dire. C’est toi qui écris. C’est toi qui agrippes le gouvernail. Le personnage ne peut pas tenir les rênes puisqu’il sort de ta tête. Il ne peut donc pas échapper à ton contrôle… » Eh bien c’est vrai, sans l’être. Certes, je suis la mère de mes personnages, c’est moi qui les mets au monde. Mais une fois qu’ils sont nés, je n’ai plus mon mot à dire.
Parce qu’avant d’écrire, je dois visualiser. Visualiser mes personnages en mouvement, en action, capter leurs gestes, leurs phrases, leurs réactions. Et c’est généralement à ce moment-là que les surprises peuvent advenir. Lorsque je me rends compte que mon personnage en mouvement agit différemment de la théorie que j’avais élaborée pour lui. C’est exactement ce qui est en train de se passer avec Marie-Pierre (et, bien entendu, je vais lui laisser le champ libre, je n’entraverai pas sa course ; si dure elle veut être, dure elle sera 🙂 !).
Cette sensation – quand ton personnage t’échappe, s’émancipe, vit sa vie hors de ta supervision – est très fascinante. Elle tient à la fois de la magie créative et de la schizophrénie artistique. Et, pour ma part, j’adore l’idée que mes propres créations puissent ainsi parvenir à me surprendre. C’est un des éléments qui rend mon métier d’auteur tellement passionnant…
Je t’embrasse.
Une réflexion sur “QUAND C’EST LE PERSONNAGE QUI TIENT LA PLUME…”