Le Grand Amour a été l’une des quêtes obsédantes de ma vie. Gamine, j’ai rêvé d’Angélique et de Joffrey. J’ai aussi rêvé de Peau d’Âne et de son prince, picorant des pâtisseries et cabriolant dans les prairies (puisque c’est ainsi que me les présentait Jacques Demy). J’ai rêvé de Zorg et de Betty. J’ai rêvé de Tony et de Maria…
Et toutes ces rêveries ont ancré en moi la certitude que le Grand Amour existait bel et bien et que sa recherche active faisait toute la saveur de l’existence.
J’ai grandi. J’ai connu des amours. Certaines heureuses, d’autres malheureuses. Parfois j’ai aimé sans être aimée. D’autres fois j’ai été aimée sans aimer en retour. J’ai vécu des rencontres sans lendemain et aussi des histoires longues. Il y a quelques épisodes de mon parcours amoureux que je préfère oublier, et d’autres dont je garderai à tout jamais un souvenir attendri. Il y a eu des moments forts, passionnés, sublimes, des moments tragiques aussi. Je n’en renie aucun.
Toutefois, j’ai toujours eu la sensation que quelque chose manquait. Quand je comparais mes amours à celles que mes héros d’enfance semblaient promettre, je trouvais la vie bien décevante et je me sentais grugée de ne pas encore connaître ces « Il était une fois le Grand Amour » qui avaient embelli mes jeunes années.
Mes amis me faisaient la leçon. « La vie, c’est pas comme dans les contes, ni comme dans les films, ni comme dans les romans, voyons Carole-Anne ! Le Grand Amour, c’est un truc marketing pour faire vendre de l’espoir et de l’eau de rose. Roméo et Juliette, c’est du pipeau ! Redescends sur terre cocotte ! »
Eh bien non. Sur terre, moi, je refusais de redescendre. Je ne voulais pas me résigner. Admettre que les roulades champêtres, les baisers sous la pluie et les balcons à Vérone ne soient que des jeteurs de poudre aux yeux, c’était trop me demander. Même si la réalité semblait ne pas vouloir me donner raison, je me disais : « Un jour viendra ».
Mais j’avoue, les années passant, cet espoir était de plus en plus dur à entretenir. D’autant plus que la peur de finir seule me taraudait. Une petite voix terrifiée en moi murmurait : « Et si c’était vrai que le Grand Amour n’existe pas ? Ou en tout cas, qu’il n’existe pas pour moi ? Et si je passe ma vie à l’attendre et qu’il ne vient jamais ? » Ces questions me désespéraient car elles mettaient à mal les fondations sur lesquelles j’avais bâti ma vision de la vie. Parce que, vrai, une vie sans Grand Amour, mais à quoi bon ?! L’idée de ne jamais le connaître, de ne jamais entrer, à mon tour, dans la galerie des amoureuses de légende, me flanquait le moral à zéro.
J’avais alors 37 ans. Je n’avais pas d’alliance à l’annulaire, pas d’enfant, et je vivais les derniers instants d’une histoire qui, comme les précédentes, avait fini par s’achever. Je n’arrivais plus très bien à déterminer si, en l’amour, je continuais de croire ou non. Certains matins, je chantais : « Le jour viendra ! ». Certains soirs, je larmoyais : « Le jour peut-il encore venir pour une vieille nana de presque 40 piges, à gros cul qui plus est ? » (oui, je ne suis pas toujours très gentille avec moi et j’ai tendance dans ces cas-là à prendre mes fesses pour cible, les pauvres !).
Et puis, le jour est venu. Oui, il est venu !
Un homme est entré dans ma vie. Enfin non, pas tout à fait. En réalité, il y était déjà depuis 13 années. Mais nous n’étions que de lointains amis, liés par une affection platonique et respectueuse. Comme moi, il venait d’achever une histoire qui avait pas mal éraflé sa foi en l’amour. Un peu par hasard (mais qui croit encore au hasard de nos jours 🙂 ?), nous avons commencé à nous écrire. Porté par la plume, l’amour est né. Il a grandi, s’est amplifié. Des petits nuages roses nous ont pris à leur bord durant plusieurs mois. Mais ils sont ensuite devenus gris, d’un lourd gris d’orage. Car l’histoire n’était pas simple. L’éloignement géographique rendait les choses difficiles. Il nous a fallu trouver nos marques, procéder à des ajustements complexes. Cela ne s’est pas fait sans mal. J’ai beaucoup douté. De moi, de lui, de nous. De notre capacité à former un couple viable. Notre amour a été éprouvé. Il pouvait en ressortir durement égratigné, irrémédiablement abîmé, bon pour la casse. C’est l’inverse qui s’est produit. Tout ce qui ne l’a pas tué l’a rendu plus fort.
Aujourd’hui, j’ai la sensation d’avoir rencontré le Grand Amour pour de bon et de l’expérimenter chaque jour un peu plus. En quoi cet amour-là est-il différent de mes histoires précédentes ? Dur à dire. Et pourtant la différence est évidente. Sans que, d’ailleurs, cela n’enlève rien à la beauté de mes amours passées. C’est juste que mon amour actuel emprunte des chemins qu’auparavant je n’avais jamais connus.
Avant, je crois que je voyais l’amour comme une bourrasque pouvant, par sa force et sa dimension passionnelle, nous soustraire à la réalité. Une sorte de tapis volant en somme, un passeport pour le merveilleux et le supra-réel. À présent, au contraire, je vois l’amour comme une obsidienne formidable capable de nous ancrer dans la réalité, de nous enraciner profondément en elle et de nous en dévoiler les 1001 merveilles. Le Grand Amour n’est pas un visa pour l’au-delà, il est une clé pour l’ici-même.
Bien sûr, il exige du « travail ». Il faut se donner les moyens de conserver l’amour, il faut se montrer digne de lui. C’est une construction qui se fait à deux et qui, si elle se fait bien, grandit les deux individus qui bâtissent côté à côté. Ce n’est pas parce qu’on s’aime qu’on ne doit plus faire d’efforts et espérer que les paillettes se régénèreront d’elles-mêmes. S’aimer n’est que le début de l’épopée. De cela j’ai bien conscience. Mon amoureux aussi.
J’ai beaucoup de chance d’être avec lui. Il est doux et fort. Brillant et humble. Fantaisiste et responsable. Il sait me booster autant que m’apaiser, m’amuser et me surprendre, me faire rire et me faire jouir. Faire les courses en sa compagnie peut s’avérer une aventure marrante et dépaysante, c’est dire. Quand je me réveille auprès de lui, la vue de son visage s’éveillant à côté du mien, me fait monter un sourire aux lèvres. J’ai pour lui un désir qui, plus il est satisfait plus il est affamé. Quand nous nous disputons (ce qui arrive aussi, évidemment 🙂 ), nous sortons de notre escarmouche à chaque fois plus proches et plus soudés, forts de cette capacité de communication et de dialogue qui nous caractérise.
Chaque jour je me vois retombant amoureuse de lui, épatée par tout ce qu’il est et par la noblesse de sa personnalité. Je n’ai plus la sourde sensation de manque qui m’a tellement habitée lorsque j’étais plus jeune et que l’ennui ou la désillusion venaient empoisonner mes histoires d’amour.
Je suis sereine. L’avenir ne me fait plus peur. Au contraire, il me fait les yeux doux, il me jure monts et merveilles auprès de celui que j’aime. Je ne sais pas où je serai dans 10 ans ni ce que je j’y ferai, mais je sais que j’y serai bien tant que mon homme sera à mes côtés. Je ne crains plus de vieillir ni de voir mon corps se faner car je sais que mon homme m’aime telle que je suis. Totalement, authentiquement.
Tout cela, je ne te le raconte pas pour me vanter ou pour me gargariser d’avoir une telle veine. Je mesure la chance qui est mienne. J’ai beaucoup attendu la venue d’un pareil amour dans ma vie. Je suis d’autant plus reconnaissante de le vivre aujourd’hui. Je n’ai plus rien à envier à Angélique, Peau d’Âne, Betty ou Maria…
Je ne sais pas où tu en es, toi, par rapport à l’amour. Si tu l’as trouvé ou si tu le cherches encore. Si tu croies en lui ou si tu le questionnes. Si tu le vis ou si tu l’as perdu. Je ne peux que te souhaiter qu’il fasse partie de ta route, un jour ou l’autre et pour longtemps.
Et si jamais tu crains qu’il n’existe pas, je t’en prie regarde-moi. Je suis la preuve vivante qu’il peut advenir et que tu n’as pas tort si tu donnes foi au « Vivre heureux jusqu’à la fin des temps » des contes de fées…
Plus que la force, que l’amour soit avec toi.
Je t’embrasse.
A reblogué ceci sur bertrandgaspel.
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