On est lundi matin. Ça fait trois jours que, comme tout le monde, je digère douloureusement les événements de vendredi. En tant qu’individu, que citoyenne, j’hésite entre me taire – ce qui permet au moins de ne pas dire de conneries – et au contraire m’exprimer sans relâche, avec du « Fluctuat nec mergitur » et du « Let’s get united people » à tout bout de plume.
J’aimerais pouvoir passer à autre chose, pouvoir faire l’autruche encore une fois, me foutre un cœur sur le ventre façon Bisounours et me dire que ça va aller, que tout cela n’est qu’un mauvais rêve qu’il suffit d’occulter pour qu’il n’existe plus. How childish of me ! Car je le sais, nous le savons tous, plus rien maintenant ne pourra être comme avant, l’ancien monde est mort. Avec lui les termes de paix, de respect, de sécurité et d’insouciance.
Une question me taraude : si vendredi soir mon fils avait été au Bataclan voir ce groupe de métal, ou si mon père avait dîné au Petit Cambodge, ou si mon frère avait assisté au match du Stade de France, ou si mon amoureux avait eu la mauvaise idée de se promener rue de Charonne ? Si un être que j’aime, quel qu’il soit, était sorti vendredi soir pour ne plus jamais rentrer et qu’on soit ensuite venu m’expliquer que je pleure son absence à cause de fanatiques enragés, aussi cérébrés que des pierres ponce, conditionnés pour devenir des outils de massacre, quelle serait aujourd’hui ma réaction ? À qui viendrais-je crier ma douleur, mon désespoir, ma colère ? À qui devrais-je en vouloir ? Aux criminels inconscients et égarés que Daesh téléguide ? À Daesh même, cette secte enténébrée qui détourne une religion de lumière pour justifier les atrocités commises ? Au gouvernement, lâche et corrompu, qui combat hypocritement aujourd’hui le monstre qu’elle a nourri et laissé croître ? À la folie des hommes qui les rend juste bons à s’entretuer plutôt que de faire de leur vie des cheminements de clarté et d’intelligence ? À qui ? À QUI ?? Cette mort qui aurait endeuillé mon existence à jamais, ne serait pour le gouvernement, le pays, le monde, qu’un chiffre de plus à intégrer au bilan, elle ne serait, au fond, qu’un détail.
Nous croyions avoir touché le fond avec Charlie. On était loin du compte. Un pas irréversible vient d’être franchi. Nous avons basculé dans une autre ère. Et le pire est encore sans doute à venir. Moi, je n’ai que ma plume, minuscule et dérisoire. Que j’agite pour partager tout ce qui me secoue l’être. Chacun de nous doit prendre ses responsabilités.
Le gouvernement doit arrêter sa schizophrénie, cesser de vendre les armes qui tuent les innocents, cesser aussi d’entretenir le feu dont se nourrit Daesh.
Les Musulmans de France doivent monter au créneau. Non pas pour se désolidariser des dégénérés – je comprends que cette idée même les choque – mais pour revendiquer leur véritable Islam. Aujourd’hui plus que jamais, ils doivent se faire entendre, clamer leur vérité, défendre leur religion, la vraie, la pure, celle qui les grandit. Ils doivent aider ceux qui ont peur à y voir clair, à comprendre que l’Islam ne fut, et ne sera jamais le problème. Il est temps de redorer le blason de cette religion que les femmes en niqab et les hommes à grenade déforment, dévoient, maltraitent, mutilent. J’aime les initiatives « NotInMyName », je les trouve formidables, courageuses, nobles, elles font du bien.
Quant à nous, les autres, chrétiens, juifs, protestants, bouddhistes, athées, c’est à nous aussi d’être responsables : se garder des amalgames, s’élever contre la barbarie – même si ce n’est pour l’instant qu’en postant un drapeau bleu blanc rouge sur Facebook -, cesser de s’illusionner sur l’intégrité du système politique et cesser du même coup les « moutonneries ».
Je ne veux heurter aucune sensibilité, aucune foi. Je l’ai déjà écrit, je crois à l’enrichissement humain par la diversité et par l’apprivoisement de cultures différentes à la sienne propre. Je pense que le silence, les non-dits, la méfiance et la méconnaissance de l’autre sont à la source de l’intolérance.
Il paraît que nous sommes en guerre. Si c’est le cas, alors prenons les armes. Mais je ne parle pas ici d’instruments métalliques, aux bouches carnivores et aux balles assassines. Je parle d’autres armes, celles de l’esprit, celles du cœur, celles de l’accomplissement, celles du partage. Il faut des voix dans le silence, des phares dans l’obscurantisme, des consciences incorruptibles dans toute cette perversion politique qui nous domine. Les hommes d’état ne sont plus que des pantins, gangrénés par l’argent, le pouvoir, les malversations. Ils ne peuvent plus rien pour nous. La réponse n’est plus entre les mains des dirigeants, elle est entre les mains du peuple, ou plus exactement, elle est entre les mains de chaque individu. Nous sommes seuls. Chacun face à soi.
Écrivons, parlons, chantons, buvons, baisons, vivons, montrons-nous, faisons entendre, à défaut de mitraillettes, nos cordes vocales, nos indignations, nos forces, nos audaces, nos opinions, nos solidarités.
Il n’est plus rien d’autre à faire…