Aujourd’hui, je reçois un mail de mon éditeur qui me demande, tout à trac, d’écrire quelques lignes sur le métier d’auteur. Mission d’envergure autant qu’ardue. Qu’est-ce que c’est que ce métier-là ? Où est sa richesse, son intérêt, voire son utilité ? Mon crâne s’ébroue, se penche sur la (les) question(s). Et bien vite ma plume, soudain éveillée, esquisse les premières réponses qui me viennent.
Etre auteur, c’est d’abord vivre avec, au fond de soi, un amour sans fin. L’amour du mot, du verbe, de la langue et de ses chorégraphies. La fonction d’auteur prend sa source dans cet amour, elle naît de lui. Et cet amour se développe, selon moi, au travers de la lecture, au travers des livres. Peut-être peut-on écrire sans avoir jamais lu. Et peut-être peut-on lire beaucoup sans jamais écrire ensuite une seule ligne. Pourtant, il me semble que les deux activités sont liées, indissociables, s’enrichissant l’une l’autre.
Etre auteur, c’est ensuite accepter de se rendre esclave à la fois de son besoin viscéral d’écrire et aussi de son inspiration. Une idée peut surgir n’importe où, n’importe quand, en pleine nuit, dans le métro, au milieu d’une conversation, et il faut la saisir au vol sous peine de perdre le précieux élan. Il faut savoir regarder autour de soi, prendre note de toute tranche de vie aperçue, de toute émotion ressentie, de toute anecdote recueillie. En tant qu’être humain, on est évidemment sa propre matière première lorsque l’on écrit. L’acte d’écriture est une valse à trois temps : observer, ressentir, retranscrire – acte qui peut être envisagé, à raison, comme une forme de thérapie pour celui qui écrit.
Mais être auteur, c’est également prendre le risque de se confronter au silence ou à l’indifférence. Même si ce qu’on écrit provient des tripes, cela n’a aucune valeur si un lecteur n’est pas à l’autre bout de la plume pour entrer en résonance avec l’œuvre produite. C’est lui, le lecteur, ce terrifiant inconnu, qui importe vraiment. Seule compte son émotion, la façon dont il s’approprie les lignes qu’il lit, la façon dont elles le touchent, l’émeuvent, le distraient, le font rire ou pleurer, le soulagent ou l’indignent, le réconfortent ou le transforment. Est-il destin moins enviable que celui de l’écrivain maudit dont personne ne connaît ou ne reconnaît le talent, dont les manuscrits ne servent à rien ni à personne ? N’écrire que pour soi ou pour le tiroir où s’entassent les feuilles noircies ne peut qu’engendrer frustration et désespoir.
Etre auteur, c’est aussi connaître, pourvu que les muses soient conciliantes, un plaisir intense, cérébral aussi bien que sensuel, qui rend autarcique, qui fait que le corps entier et ses besoins se mettent entre parenthèses, se dédient à l’écriture pure. Temps, faim, sommeil, existence d’un monde alentour, tout est sacrifié au nom du jaillissement de ce que la main met en forme. La quête du mot toujours plus juste, de la phrase faisant mouche, de l’image pertinente, est une quête épuisante et parfois ingrate, mais c’est aussi une quête passionnante, instructive, transcendante. La page qui cesse d’être blanche et que l’on voit se remplir, devenir récit, devenir mère de vies crées : quelle ivresse !
Et puis, être auteur, c’est pouvoir, selon les projets, devenir protéiforme. Poète, dramaturge, scénariste, romancier, essayiste, philosophe, conteur, pamphlétaire, autant de masques à revêtir pourvu que l’esprit créatif soit caméléon et sache s’adapter à un nouveau défi littéraire. Par le pouvoir des mots amener l’émotion, l’évasion, mais aussi la réflexion, la fédération, l’élévation.
Etre auteur, enfin, c’est comprendre qu’en vérité, auteur n’est pas un métier, c’est un état, et c’est même un mode de vie, où la plume servira de moyen d’expression, en tout, pour tout, toujours. Elle sera l’arme autant que le bouclier, elle sera le refuge, elle sera la réponse, elle sera la guérison, elle sera la trace laissée.
Je suis auteur. A part peut-être faire l’amour, je ne connais pas de plus belle occupation que celle d’écrire. C’est ma raison de vivre, le sens que j’ai donné à mon passage sur terre. Je ne sais rien de ce que l’avenir me réserve, mais ce que je sais c’est que, quoi qu’il arrive, reconnue ou non, heureuse ou non, j’écrirai. La plume en main toujours était, est, et sera mon seul hymne.